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Viï – Le roi Terre - première à Paris

Viï – Le roi Terre - première à Paris

 

Viï - le Roi Terre 

Dernière création du Théâtre Dakh, Viï est un voyage mystique au cœur d’une Ukraine méconnue.  Présentée au théâtre de Vidy-Lausanne où elle a été créée, la pièce, mise en scène par Vlad Troïtsky et écrite par Klim, remarquable par l’intensité de ses images, tableaux vivants et musicaux, a conquis le public suisse, comme elle a l’habitude de le faire dans son fief de Kiev.

 

Comme des sirènes, des voix douces et lointaines s’élèvent dans une forêt de brume. Deux personnages apparaissent guidés par leurs lampes de poches : ils sont arrivés. L’un est venu en Ukraine retrouver la trace de ses ancêtres tous disparus pendant la grande famine qui ravagea le pays en 1933, l’autre, en quête d’aventures, vient explorer le pays à la découverte de « ce peuple de sauvages » et pour approcher de vraies sorcières ... Rapidement l’un comme l’autre se trouvent pris dans une spirale infernale, fascinante et dangereuse, attirés par l’hospitalité des belles ukrainiennes et la rudesse de leurs époux. Perdu, très loin, le village qui les accueille ressemble davantage à leurs fantasmes qu’à un paisible village de montagne. Indéniablement, il s’agit des Carpates, région de l’Ouest de l’Ukraine, réputée pour son folklore et l’étrangeté qui règne dans les montagnes : la nuit alors que la Lune éclaire la vallée, les chiens hurlent et le vent fait craquer les bâtisses ; les jours de fêtes, les femmes se rassemblent vêtues de mille couleurs et parées de coiffes fleuries, les hommes avec leurs petites haches – servant à la fois de canne et réellement de hache -, scrutent l’horizon inquiets par l’avenir  et  accomplissent les rites qui accompagnent les cérémonies d’un sérieux religieux. C’est ainsi que l’on découvre le village, alors qu’il célèbre un mariage. Violons et tambours teintent pendant que les femmes narguent les hommes dans un combat singulier de chansons. Mais rapidement, la scène se gâte : une vieille femme, la sorcière du village hurle son agonie. La jeune mariée doit reprendre ses pouvoirs pour protéger le village du mauvais œil. L’idiot du village (admirable Dmytro Iaroshenko) enchaîné à un tronc d’arbre, jusqu’alors simplement fou, se déchaîne, devenant mi-prophète, mi-Christ martyr, il annonce l’orage qui ne tardera pas à s’abattre sur les hommes « Dieu est mort / Dieu est un cadavre / Les prophètes hurlent comme des chiens / À présent Dieu c’est nous » avant de s’effondrer.

La pièce s’est inspirée d’une courte nouvelle de Gogol, Viï, dans laquelle Viï est le seigneur du royaume des morts. Ici, les croyances païennes et la foi en Dieu se mélangent sans discernement, donnant lieu à des rites froids et cruels pour s’attirer tour à tour les grâces du ciel et éloigner les foudres de l’Enfer. Du voyage touristique, les deux compères se trouvent entrainés dans un parcours initiatique, remettant en cause leur foi ou plutôt leur absence de foi, et recherchant corps et âme dans ce retour vers leurs racines primitives les restes d’humanité dont la civilisation ne les aurait pas privé. Mais au delà de la dimension spirituelle, Viï parle d’une Ukraine tourmentée où les contrastes entre le poids des traditions et la soif de modernité et de richesse crées de l’incompréhension et du vide.

Des rites de mariage à ceux des funérailles, les tableaux du Théâtre Dakh se succèdent, tout comme les chants, dans une lenteur envoûtante et rappellent le tourbillon d’images des Chevaux de feu (« Tini Zabutykh predkiv ») film culte des années soixante de Sergueï Parajanov qui, à travers l’histoire de l’amour beau et naïf d’Ivan et  Marichka, met en scène une Ukraine nourrie par la puissance de la tradition et des croyances ancestrales. Loin d’une narration linéaire, le spectacle, par sa succession de scènes, laisse une interprétation relativement ouverte au spectateur, libre de placer celles-ci dans une réalité dramaturgique ou bien dans des rêveries étranges. La scène est tour à tour forêt lugubre où les arbres, comme poussés par le souffle des ancêtres, se balancent lentement et cathédrale imposante où se succèdent icônes et Vierge. Progressivement les personnages s’y transforment, salis par la culpabilité, égarés dans des réflexions philosophiques qui les dépassent et finalement à bout de souffle, simplement las, attendant l’heure de leur jugement.

 Viï - le Roi Terre

Viï est une fresque, un livre étrange et pénétrant dont chaque page nous aspire un peu plus profondément. On nous parle de la vie, de l’amour, de la mort,  comme d’une grande danse macabre orchestrée par les dieux. Loin de la civilisation, ce peuple où Viï règne en maître, nous semble illuminé, il l’est, par la pureté et la force de sa foi. On est proche du donneur de leçons « et dans notre monde à nous, notre icône est devenue une cuvette de chiotte » dit le héros au début du conte, mais on ne tombe finalement jamais dans cette mauvaise caricature. Parce que, de chaque côté de ces deux Europe qui se rencontrent, l’auteur nous dit que l’humanité de l’homme est intacte, encore faut-il que ce dernier sache la retrouver. Alors que les uns semblent aveuglés par la foi, les autres évoluent dans une profonde obscurité où la foi s’est épuisée à force d’être intellectualisée, et pourtant, nous suggère-t-on, tous restent égaux face à la mort.

Dans le spectacle, deux suisses rencontrent un village ukrainien. La justesse de cette rencontre tient probablement de son authenticité, Vlad Troïstky est en effet allé chercher deux jeunes comédiens vivant en Suisse pour incarner les deux héros de la fable. Comme une belle plongée dans l’univers du Théâtre Dakh, le style d’un jeu académique, on dira « à la française », des deux comédiens, Bartek Sozanski et Pierre-Antoine Dubey, ne dénote pas face à l’impressionnante richesse visuelle et musicale qui fait la réputation de la troupe ukrainienne. La partie francophone du spectacle se fait alors l’écho occidental et décalé de ce décor ukrainien, mystique et merveilleux. Dépourvu de surtitre, les traductions de l’ukrainien se font directement par l’intermédiaire des personnages, reproduisant de façon juste le besoin de compréhension globale face à un discours dont on ne saisit le sens.

L’ensemble de la troupe a participé à la création musicale du spectacle aux côtés des musiciens de l’ethno-chaos band DakhaBrakha, dont les voix lancinantes et grinçantes résonnent dans cette rêverie mystique comme un étrange écho.  Les tambours frappent, les trompettes sonnent, l’accordéon pleure pendant que se succèdent les icônes d’une religion qui nous paraît lointaine, et finalement, on est tout entier pénétré par la magie de ces images qui  s’agitent en nous bien après la fin du spectacle.

 

Avec Viï, Vlad Troïtsky et le Théâtre Dakh, ont voulu peindre une Ukraine réelle mais oubliée et la force d’un peuple qui vit encore au rythme de ses traditions pour y puiser la force de vivre.  Loin de cette Ukraine mystique, bien des images échappent au spectateur, néanmoins l’étrangeté et la beauté nourrissent la pièce lui conférant une dimension à la fois spirituelle et terrienne qui agite les sens. Comme un retour à des racines inconnues, Viï  se dessine comme une découverte que l’on aurait fait par hasard et dont on ne saurait détacher le regard un seul instant. 

Claire Counilh

 

Viï - le Roi Terre

Viï- Le Roi Terre

de Klim, mise en scène de Vlad Troïtskyi avec le Théâtre Dakh

jusqu'au 10 juin au Théâtre de Vidy-Lausanne, puis les 19 et 20 juin à Montpellier dans le cadre du Printemps des comédiens et en décembre au Théâtre de la Ville de Paris.

Le spectacle se jouera du 10 au 14 décembre au Théâtre de la Ville à Paris.

 

Photo DR