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En Ukraine tous les espoirs sont permis

 

L’Ukraine aura fait parler d’elle en ce mois de novembre 2013. Rappelez-vous, lorsque le 16 novembre, l’équipe de football ukrainienne imposait fièrement deux buts aux Français, rentrés défaits du match de présélection pour les mondiaux qui auront lieu au Brésil en 2014. Et même si finalement l’équipe de France est parvenue à vaincre l’Ukraine trois jours plus tard et ainsi à se qualifier pour le Brésil,  on se souvient de ce discret pied-de-nez ukrainien au parfois bien fier football français.

 

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée aux exploits sportifs. Le jeudi 21 novembre, le Président ukrainien Viktor Ianoukovitch décide, sous la pression russe, de ne pas signer l’accord d’association censé rapprocher l’Ukraine de son voisin l’Europe.  Furieux, le peuple descend dès le lendemain dans les rues de la capitale pour se réunir sur la Place de l’Indépendance, Maïdan, et protester contre cette décision inattendue qui sape tout espoir d’évolution au niveau politique et au niveau sociétal.  Si les manifestations se font rares en Ukraine, elles sont néanmoins de taille : des milliers de manifestants répondent présents face à ce ras-le-bol d’une société à deux vitesses, dominée par une administration ultra corrompue obéissant aveuglément à sa grande sœur russe. Le lendemain, des milliers d’autres manifestants rejoignent Maïdan et les principales places des grandes villes d’Ukraine, Lviv, Chernihiv, Ternopil : EuroMaïdan, la Révolution ukrainienne prend forme. Le mouvement s’organise, les étudiants se déplacent massivement, leurs professeurs également, les personnalités prennent la parole : ce vendredi 29 novembre, Maïdan est noir de monde.

 

Le froid d’un hiver qui s’annonce rude claque le visage des centaines de milliers de manifestants, mais l’ambiance est bon enfant. Des tentes se sont dressées ici et là, certains ont allumé des feux de joie pour se réchauffer, d’autres dansent et chantent, face aux forces de l’ordre, impassibles. Le scénario ressemble à s’y méprendre à la Révolution Orange, qui secoua une première fois l’Ukraine en 2004. À l’époque, ce même Viktor Ianoukovitch est accusé de fraudes électorales : des centaines de milliers de manifestants se ruent dans le centre de ville de Kiev pour crier leur mécontentement. Finalement, de nouvelles élections sont organisées et Viktor Ioutchenko, leader de l’opposition, est nommé à la présidence. Cette révolution de 2004, à la fois mouvement populaire et prise de conscience politique, a marqué de façon profonde le peuple ukrainien qui s’autorise alors à songer à un rapprochement avec l’Union Européenne. Mais Viktor Ianoukovitch accède à la présidence de l’État ukrainien en 2010 à la suite d’une bataille électorale serrée contre sa célèbre opposante Iulia Timochenko. Dès la prise de ses fonctions, le nouveau président ukrainien fait juger Iulia Timochenko accusée d’abus de pouvoir dans une affaire de vente de gaz entre l’Ukraine et la Russie. Viktor Ianoukovitch n’a désormais plus d’opposants de taille pour lui faire de l’ombre. Son Parti des Régions se rapproche toujours plus du pouvoir russe, le gouvernement devient une large famille où les proches du Président sont parachutés à des postes à responsabilités et où les oligarques dictent la politique.

 

La population n’est pas aveugle mais elle est sceptique : après la Révolution Orange tous les espoirs d’évolution se sont évanouis, la situation s’est même empirée. La société est à deux vitesses, une poignée de gens très riches font grimper le pouvoir d’achat pendant que la population peine avec un salaire moyen de 320 € par mois. Pourquoi se révolter une nouvelle fois si la Révolution Orange n’a fait éclore aucun fruit de progrès ? Pour qui se révolter lorsque l’ensemble du monde politique est corrompu ? Le peuple ukrainien se répète chto delat ? (que faire ?) Alors en cette fin novembre 2013, c’est un mouvement d’exaspération qui a poussé les Ukrainiens par milliers à manifester. Pour eux, dire non à l’Europe, c’est dire non au progrès, à l’évolution de leur pays, c’est regarder une nouvelle fois vers l’Est et nourrir servilement les intérêts de Moscou, c’est laisser le pouvoir à l’oligarchie et à la corruption. Le peuple ukrainien a dit non, car à défaut de pouvoir agir dans les arcanes du pouvoir, il a liberté de se révolter dans les rues. Mais face à un peuple qui se révolte, un gouvernement corrompu agit rarement de façon intelligente. C’est ce qu’il s’est passé la nuit du 29 novembre lorsque d’obscurs militants, a priori envoyés par le gouvernement, sont venus troubler les rassemblements de manifestants. Les forces de l’ordre spéciales qui se trouvaient justement là auprès des policiers sont donc intervenues. Or, toute personne ayant déjà voyagé en Ukraine n’est pas sans ignorer qu’il est préférable de ne pas se frotter trop près aux policiers (dont la réputation d’organe corrompue n’est plus à faire). Des centaines de manifestants, hommes, femmes, jeunes, journalistes, n’ayant pas eu le temps (et parfois pas la présence d’esprit) de reculer se font battre à coups de matraques par ces forces de l’ordre peu scrupuleuses. C’était une erreur car quelques heures plus tard, twitter, facebook et vkontakte (le facebook russe) explosent de vidéos et de photographies de ces émeutes, et les journalistes du monde entier s’emparent de ces images pour dénoncer les violences en Ukraine. Le Président lui-même se voit dans l’obligation de se prononcer quant aux débordements de ces émeutes. Officiellement, tout rassemblement sur la Place de l’Indépendance est interdit jusqu’au 7 janvier, mais les manifestants passent outre : de nouveaux regroupement ont lieu depuis le 1er décembre, on appelle à la démission du Président et de son gouvernement. L’opposition biensûr commence à apparaître et les cris de la semaine dernière « Nous ne voulons pas de politiques, le peuple doit décider » n’a plus le même écho. Parmi les forces d’opposition, on parle beaucoup dans les médias étrangers d’un certain Vitalii Klitschko, mais pour les Ukrainiens ce héros national  n’est pas nouveau. Ce milliardaire (encore un) est l’un des rares à s’être enrichi de manière honnête. Champion du monde de boxe, 2 mètres et 114 kilos, polyglotte et docteur en sciences du sport, Monsieur Klitschko s’est toujours attiré la sympathie populaire et son physique fait qu’il force le respect. Il entre en politique auprès de Iulia Timoschenko lors de la Révolution Orange puis crée son parti Oudar (« coup de poing ») et est nommé conseiller municipal de Kiev en 2012. Très clairement pro-européen, Vitalii Klitschko s’impose comme le leader de la révolution EuroMaïdan et semble en bonne voie pour les élections législatives de 2015.

 

 

La neige tombe ce lundi 2 décembre et un appel général à la grève a été lancé. La Place de l’Indépendance assombrie par la foule est recouverte d’une pellicule blanche. On compte encore 300 000 manifestants, c’est moins que les 700 000 de ce week end, mais c’est encore beaucoup alors que le thermomètre ne cesse de baisser. La Maison des Syndicats, sur la place, a ouvert ses portes et les manifestants y circulent gaiement bien que fatigués pour s’y réchauffer, prendre une boisson chaude, s’allonger et s’endormir quelques instants à même le sol, ou encore aller se faire soigner. Un peu plus loin, des manifestants ont trouvé refuge dans l’une des églises à la coupole dorée et s’endorment bercés par les icônes. D’autres encore sont rentrés chez eux et passent des heures sur les réseaux sociaux pour continuer leur combat, s’exprimer, partager avec leurs amis du monde entier leurs espérances naissantes, puis à nouveau, ils enfilent leur manteau à la capuche entourée de fourrure, leurs bonnet, écharpes et gants et filent à Maïdan affronter le froid, réchauffés par l’espoir d’une nouvelle Ukraine au visage plus humain. À leur image.

 

Claire Counilh